Le Mali et l’Algérie : une amitié historique en perte de rythme
Les dernières tensions diplomatiques entre le Mali et l’Algérie résument une situation délicate qui prévaut depuis quelques années. Cette situation est délicate car il s’agit avant tout de discordances légitimes suivant la ligne diplomatique malienne, alors que du côté de la diplomatie algérienne, les dernières actions diplomatiques maliennes à l’égard d’Alger constituent une provocation majeure qui n’avait pas lieu d’être.
Lutte entre tendance hégémonique et tendance souverainiste
En substance pour la diplomatie algérienne, la dernière vaste action militaire malienne ayant conduit en début novembre à la reprise de Kidal (région malienne frontalière avec l’Algérie et surtout fief de la rébellion touarègue), constitue une menace pour la stabilité de l’Algérie, une menace pour le leadership algérienne dans le Sahel et une menace pour le leadership algérien dans la gestion de la rébellion au Mali. En effet, il faut rappeler que l’Algérie a abrité les négociations ayant conduit en 2015 à la signature de l’Accord issu du processus d’Alger à Bamako entre le gouvernement malien et les groupes armés séparatistes maliens. Alger est depuis lors le chef de file de la médiation.
Avec du recul, on observera qu’au final tous les cadres mis en place pour accompagner la mise en œuvre de cet accord ont finalement été des échecs. Cet Accord outre, le fait d’avoir rétabli une certaine sérénité dans les rapports entre le gouvernement malien et les groupes séparatistes maliens, n’a, en effet pas apporté une plus-value considérable ou supplémentaire. Il aura tout de même permis à Alger de disposer d’un véritable leadership diplomatique jusqu’au coup d’Etat de 2021. En effet, dès l’arrivée au pouvoir, les nouvelles autorités maliennes avaient joué à l’équilibriste. L’application de l’Accord est passée symboliquement au pied de la pyramide des priorités car dans la lecture diplomatique du Mali, cet Accord ne promeut pas les trois principes fondamentaux, devant animés les décisions publiques et politiques, mis en place par le Colonel Assimi Goïta, président de la transition malienne : le respect de la souveraineté́ du Mali, le respect des choix stratégiques et de partenaires opérés par le Mali, la prise en compte des intérêts vitaux du peuple malien dans les décisions prises. En outre, certaines dispositions de l’Accord ont été promues dans la nouvelle constitution comme la création Sénat ou encore l’adoption d’un nouveau découpage administratif et électoral. A l’époque, cette information avait été clairement signifiée à Ramtane Lamamra qui était ministre des Affaires étrangères de l’Algérie. Son successeur Ahmed Attaf, qui avait aussi hérité de ce dossier aussi brulant que stratégique s’était rapidement rendu à Bamako en avril 2023 pour rencontrer son homologue malien Abdoulaye Diop. Il avait signifié à son tour une réanimation de cet Accord. En effet, Alger ne souhaitait aucunement des actions militaires auprès de sa frontière car risquées à différents égards. Bamako a rappelé la perspective non satisfaisante pour Alger d’une « application intelligente de l’Accord » dans le meilleur des cas.
En l’espèce, Bamako reproche plusieurs faits de dossiers à Alger qui ont tardé à être illustrés. La tendance hégémonique de la diplomatie algérienne (qui prend sens au regard des crises dans le Sahel) est loin de s’accommoder avec le désir exprimé par le Mali en termes de souveraineté et de sécurité. La trajectoire diplomatique malienne actuelle ramène à une question fondamentale que se pose les autorités maliennes actuelles, à savoir : à qui profiterait l’application de cet Accord ? Pour Bamako, ce n’est certainement pas le Mali, alors son application n’est pas à l’ordre du jour. A ce titre, Bamako ne s’est pas limité au verbe, mais est allé à l’action : une main tendue du ministre de la Réconciliation du Mali aux groupes rebelles touarègues (qui a été déclinée), une nouvelle constitution qui réaffirme la souveraineté du pays et son unicité territoriale (qui snobe l’Accord d’Alger et les velléités territoriales des groupes séparatistes touarègues maliennes), une vaste action militaire qui a conduit en novembre à la reprise de Kidal. Bamako est pleinement dans la logique souverainiste qui prévaut depuis 2021.
Une situation qui n’était encore qu’une « incompréhension diplomatique » est devenue finalement « une crise diplomatique » ce mois de décembre 2023. Et pour cause, le Mali n’a pas apprécié la tenue de pourparlers à Alger autour de stabilité au Mali sans l’accord explicite de Bamako. Avec des faits malheureux majeurs pour cette initiative d’Alger : la présence de l’imam Mahmoud Dicko (confrérie kountiya) et des représentants de groupes séparatistes touarègues délogés de Kidal, il y a à peine un mois.
La perspective diplomatique à cet égard est restée clairement fondée sur la question de la souveraineté territoriale du pays. Après le retrait du contingent français, de la mission onusienne (Minusma) du pays à la demande de Bamako motivé par la nécessité de l’affirmation de la souveraineté du pays, l’Algérie n’allait certainement pas pouvoir continuer à porter un Accord qui continue à être trainé dans la boue et qui présente un sérieux problème de reconnaissance juridique dans l’architecture actuelle des normes au Mali. Suivant cette logique, la question qui se pose est alors : cet accord est-il aujourd’hui caduc ? La réponse est clairement oui. Bamako refuse en effet sur fond de cet Accord aucune forme de mise sous tutelle qui ira porter atteinte à la souveraineté du pays. D’ailleurs, pour signifier cela, Bamako ira plus loin dans sa réaction envers Alger en signifiant à Alger qu’une « interférence dans ses affaires intérieures » conduira en d’autres termes à une grave violation dans les relations entre États.
L’appel du Maroc et ses implications
Il convient de rappeler que le choix de la diplomatie malienne de répondre à l’appel du royaume chérifien reste d’abord dans une logique de lecture celle de l’application du principe du respect des choix stratégiques et de partenaires opérés par le Mali. D’autre part, il convient de rappeler le lien particulier entre Abdoulaye Diop et Nasser Bourita, les chefs de la diplomatie des deux pays. Ensuite, il faut rappeler que le Maroc a affiché un désir de proximité avec le Mali depuis le début de la transition. C’est dans cet élan que le royaume avait affiché sa solidarité avec le peuple malien visé par une série de sanctions de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (Uemoa), notamment un embargo économique et un gel des avoirs à la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) après les sanctions contre le pays.
Bien qu’il s’agisse d’une main tendue du Maroc vers le Mali et les autres pays du Sahel, la réponse favorable malienne déplait fortement à Alger qui voit son influence impactée. Cette influence avait déjà reçu un coup avec la création de l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Pire, le lien entre ces Etats sahéliens et le royaume chérifien tend à confirmer une vieille légende sahélienne celle d’une Algérie, base arrière des organisations terroristes et des groupes armées opérant dans le sahel et dans le Sahara. Avec cette collaboration avec ces Etats sahéliens en pleine crise sécuritaire et sous sanctions, Rabat tend à restreindre l’influence algérienne dans le carcan d’abri de terroristes et d’organisations comme le front Polisario.
Alger – Bamako : deux vieux amis conscients de l’importance du maintien d’une relation avant tout historique
Le Monde change et le Sahel est difficile tant sur le plan de la sécurisation que sur le plan diplomatique mais ni le Mali ni l’Algérie ne souhaitent en l’espèce entacher cette amitié devenue hautement stratégique en plus d’être foncièrement historique.
En effet, il mérite d’être rappelé que l’amitié entre les deux pays a été avant tout le fruit d’une l’amitié forte et d’une convergence idéologique entre deux hommes forts et deux figures des indépendances africaines : Modibo Keïta (Mali) et Ahmed Ben Bella (Alger). Les relations entre les deux pays sont des relations populaires paisiblement construite sur un fond d’amitié. Pour l’histoire, il convient de garder en tête que Modibo Keita va réaffirmer son engagement envers le Peuple algérien, le 30 mai 1962 au grand palais du Kremlin à Moscou en ces termes « Le Mali ne saura considérer sa mission comme accomplie tant qu’un seul pouce du sol africain sera occupé par les colonialistes avides ». En d’autres termes, les deux pays vont devoir revisiter le passé pour avancer. Cette donnée reste une perspective analytique pour Bamako dans la mesure où une coopération entre Alger et les groupes séparatistes touarègues dans le septentrion malien n’est pas une option.
Mohamed MAIGA, Analyste, directeur du cabinet Aliber Conseil