Cinq ans après, l’accord d’Alger face au défi de la révision constitutionnelle
Alors que le Mali est dans une situation de gouvernance difficile, Mohamed Maïga, ingénieur social, intervenant sur les politiques socio-économiques de territoire, estime que la révision de la Constitution est incontournable. L’Accord pour la paix et la réconciliation (APR), signé il y a cinq ans, reste au cœur des enjeux.
L’occupation des régions du nord du Mali en 2012 par le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), groupe armé animé de velléités séparatistes, était une inévitable rechute de la gouvernance territoriale précaire datant de l’indépendance, et qui n’a jamais été réglée définitivement malgré les accalmies. Ensuite, cette crise était liée étroitement à la mort du Colonel Kadhafi : certains combattants de la rébellion sont revenus d’une Libye post-Kadhafi en lambeaux. Ce sont les deux origines essentielles de la crise de 2012.
Elle a conduit, par la suite, aux débâcles de l’armée malienne et à l’occupation du nord du pays par des groupes armés séparatistes puis terroristes et au coup d’État du 22 mars 2012 qui, pour reprendre Mohamed Amara (Le Mali rêvé, Essai, L’Harmattan, 2015) a « porté un coup de grâce aux institutions » à Bamako. L’accord issu du processus d’Alger, ou l’aboutissement d’un processus périlleux, a été signé le 15 mai 2015 à Bamako après d’âpres négociations. À la date du 15 mai, il n’avait été signé que par le gouvernement malien, la Plateforme et la médiation internationale. C’était déjà une victoire pour le gouvernement malien et la médiation internationale, car il fallait « trouver un terrain d’entente ». Cependant, c’était seulement à la date du 20 juin 2015 qu’il avait été paraphé finalement par la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA).
Après cinq ans, des difficultés mais aussi des victoires
Mohamed El Maouloud Ramadane de la CMA le rappelait déjà en 2015 : « La signature n’est pas l’acte principal. Une signature ne mettra pas fin à ce conflit, il faut l’application sur le terrain, que cette signature ne soit pas comme les précédentes, qu’elle soit appliquée ». À ce jour, ce qui focalise le plus l’attention, ce sont bien les retards sur les échéanciers des réformes institutionnelles et politiques. Les acteurs s’impatientent. De son côté, depuis la signature de l’accord, le gouvernement malien, acteur technique principal de la mise en œuvre, s’est heurté à une mauvaise appréciation de l’accord par la société civile et certains partis politiques.
Ces réticences de forme, focalisées davantage sur la méthode d’adoption de l’accord (considérée comme n’avoir « pas été assez inclusive »), ont conduit en partie au blocage du processus dans son application. En plus des manifestations de la société civile pendant le processus d’Alger, pointant l’exclusion de certaines communautés du Nord, les slogans des manifestations en 2017, leurs récurrences, ajoutés à la carence de compréhension de l’accord notamment quant au « deal » sur l’ « Azawad », ont conduit progressivement à une forme de « psychose nationale » et de l’éveil de sentiments souverainistes vis-à-vis d’un accord qui viserait la « partition » du pays. Alors que, sur le fond, il n’en était rien de si grave.
Le deal de l’ « Azawad » ou la possibilité du progrès
Ce deal sur l’ « Azawad » était et reste encore, à plusieurs égards, le plus important de l’accord, car il offre une possibilité de questionner profondément la gouvernance territoriale. Cette ouverture audacieuse, qui reste certes à circonscrire, offre la possibilité aux Maliens de repenser la gouvernance locale en termes de décentralisation et de régionalisation. Contrairement à l’avis d’une partie des intellectuels et souverainistes maliens et aux idées reçues portées par des mouvements de la société civile en 2017, le pari de l’ « autonomisation » des territoires, notamment du Nord et au Centre, n’est pas si mauvais. Il existe encore un déni de réalité quant à la gouvernance territoriale. Ce déni est un chantier pour le gouvernement malien dans sa relation de confiance avec les populations. Et la dégradation de la situation sécuritaire au Centre, l’impact des milices d’autodéfense communautaires prouvent qu’en réalité l’ « autonomisation » ne devrait plus être un tabou. Le Mali, un pays divers, doit adapter sa gouvernance.
Une difficile situation de gouvernance et une incontournable révision constitutionnelle
Le gouvernement malien avait déjà réussi l’organisation des élections présidentielles de 2018, nécessaires pour garantir la stabilité institutionnelle, l’organisation du Dialogue national inclusif (DNI) rendue incontournable par la société civile, des personnalités politiques et des partis politiques de l’opposition. Même si la méthode reste pointée légitimement, ce dialogue, émanation de l’Accord politique de gouvernance (APG), a rendu possible l’organisation des élections législatives. Les enjeux importants de cette nouvelle Assemblée nationale sont essentiellement des enjeux de réformes institutionnelles.
Une incontournable révision constitutionnelle autour des institutions, la forme de l’État, la sécurité intérieure, la défense, l’économie. Et, même si le parti du Président de la République détient la majorité à l’Assemblée nationale, l’incontournable révision constitutionnelle reste l’échéance et le défi le plus important. À ce titre, la composition du nouveau gouvernement donnera certainement des indications sur la forme de l’opposition qui va prévaloir à l’Assemblée et dans la rue. Le pays reste instable, sa gouvernance questionnée, Soumaïla Cissé détenu, la Covid-19 non inscrite dans le temps.
Directeur Général d’Aliber Conseil
Ingénieur social, intervenant sur les politiques socio-économiques de territoire
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