La « politique administrative de décentralisation » au Mali et ses freins 

« La déliquescence de l’État s’exprime par une recrudescence générale de la criminalité, de l’insécurité, de la violence, voire par des menaces sérieuses sur la paix civile. On voit que les effets cumulés de ces trois tendances pèsent d’un poids lourd sur les réformes décentralisatrices. Si celles‑ci ignorent un tel contexte ou n’en tiennent pas compte, les effets pervers ne risquent‑ils pas de se multiplier ? On connaît en effet les dérives de tous ordres (clientélistes, mafieuses, régionalistes, ethnicistes, intégristes) qu’une décentralisation peut susciter »1.

Quand l’État central peine, il donne lieu finalement à quatre problématiques majeures : la criminalité, l’insécurité, la violence et une incertitude accompagnée d’une récupération politico-administrative. C’est le cas du Mali et donc des freins d’office à d’éventuelles réformes administratives et politiques.

Le gouvernement « seul » et omniprésent avec l’accord de 2015

Ici, j’insiste sciemment sur la dimension « politico-administrative de la décentralisation » car dans cette histoire, il y a visiblement trois parties qui ont du mal à se synchroniser collectivement. Il y a le gouvernement, un organe exécutif au sens « administratif » qui propose des lois. Ensuite les députés siégeant à l’assemblée nationale et les élus locaux, chefs coutumiers, traditionnels et chefs religieux.
Aujourd’hui, il reste assez frappant de constater que dans cette optique de décentralisation et de mise en œuvre de l’accord d’Alger de 2015, c’est le gouvernement qui trace seul le chemin en se fondant sur les dispositifs de cet accord.
On constate, par ailleurs une absence d’activités collectives des députés et des élus locaux dans l’attribution d’un sens aux réformes de décentralisation qui viennent d’être engagées par le gouvernement.

L’accord ne suffit ni pour décentraliser, ni pour scinder : les acteurs locaux doivent participer

Le rôle des élus locaux, des chefs traditionnels, coutumiers et de chefs religieux, ce n’est ni le mutisme volontaire ni le maintien du statut quo à la participation pendant que se discutent les réformes engagées par le gouvernement. Ce n’est pas non plus l’acceptation d’un dialogue unilatéral et individuel avec le gouvernement. Mais bien au contraire, ces derniers se doivent d’insister pour participer en amont et donner du sens aux réformes afin qu’elles répondent aux besoins locaux des populations. Sans ce nécessaire débat, le statu quo politique et administrative va perdure aux dépens de réelles occasions de réflexion globale et inclusive sur la situation politico-administrative du territoire. Pire, même en cas de scission, si le rejet du débat continue, le statut quo continuera.

Le mutisme des élus locaux constituera un véritable frein dans les étapes plus opérationnelles

Dans les trente années à venir, dans le meilleur des cas, le Mali sera fortement occupé par la réorganisation politique et administrative de son territoire.
Il ne faut pas s’attendre à ce que cette réorganisation se fasse et s’équilibre en cinq ou dix ans. Ce ne sera pas le cas. Et, en cas de scission dans les cinq ou dix années qui suivent, l’échéance pour un équilibre s’étendra davantage pour les « deux éventuels États ». Surtout si l’absence de volonté politique, le défaut de participation collective des acteurs et élus locaux et les moyens techniques, humains, persiste.

Un refus de la décentralisation de la part des « leaders majeurs » : l’impossible top-down

Pour Moussa Mara, ancien premier ministre, il y a un « refus de participation ». Il dit d’ailleurs ceci dans un récent article relayé sur sa page Facebook » le vrai problème de notre pays est que les leaders majeurs sont hostiles à la décentralisation, à la reforme de l’État dans ce sens, à la redevabilité des élites à l’égard des populations … »

Il convient de compléter ces propos en ajoutant que la crainte de tous ces « leaders majeurs », c’est bien la perte des monopoles diverses institués. Et la perte des monopôles est synonyme de perte de l’influence.
Donc, il sera effectivement quasi impossible de réellement réformer la politique territoriale si le positionnement politico-idéologique de ces acteurs ne change pas au profit d’un autre système de fonctionnement politique et administrative.

Si les plus hostiles à la décentralisation, ce sont les acteurs de « territoire » et de « pouvoirs » impactés directement par la décentralisation (chefs traditionnels et religieux, élus politiques locaux), et ceux aussi chargés de la mettre en œuvre (élus nationaux, organismes politiques et administratifs de l’État), il convient de noter qu’il y a bien quelque chose qui ne fonctionne pas.

La scission ou le risque rapide d’une « vraie fausse solution politique »

La scission pourrait rapidement, dans cette logique intervenir comme une fausse solution, c’est d’ailleurs le cas pour certains, mais en réalité, il n’en est rien. Diviser un territoire par le haut dans de telles circonstances, revient à ne pas vouloir fournir assez d’efforts pour une participation réelle de tous.
Pour évacuer ce risque, il faut se permettre de ré théoriser la décentralisation en acceptant de réfléchir avec « tous », en prenant en compte les enjeux actuels et à faire des propositions politiques et administratives opérationnelles. Car, après tout, il faudra que le dispositif fonctionne.

1Jean‑Pierre Olivier de Sardan, « Quelques réflexions autour de la décentralisation comme objet de recherche », Bulletin de l’APAD [En ligne], 16 | 1998, mis en ligne le 15 novembre 2006, consulté le 23 octobre 2018. URL : http://journals.openedition.org/apad/547