Le centre du Mali : un continuum écologique, économique, sociologique, culturel et cultuel en voie de désintégration ?

Dans une étude publiée ce mois de Mars par le centre pour le dialogue humanitaire[1], les problématiques majeures au niveau du centre du pays ont été encore souvent soulignées[2]. Quelques aspects résument cette étude et montrent encore une fois le rôle central du centre du pays face aux différentes problématiques. La place particulièrement importante de la région de Mopti est également mise en exergue.

Dans cette même lignée, ce document vient évoquer certaines problématiques majeures qui sont au centre de l’instabilité dans le centre du Mali.

Quatre événements pour comprendre très brièvement la crise de 2012 au Mali

La crise politique, territoriale, sécuritaire et sociale que le Mali a connue en 2012 n’a pas bien évidemment  échappé aux observateurs, chercheurs, politiques sur les différents continents[3].

Pour faire court, quatre (4) événements marquent l’histoire du Mali en 2012. Il y a eu tout d’abord une insurrection armée au nord du Mali, essentiellement dans la région de Kidal. L’armée malienne n’a pas pu contenir la force de frappe et l’expertise du terrain qu’avaient les groupes armés. Cet échec de l’armée a montré dans un premier temps les limites de l’armée malienne, qui dans un second temps conduira au coup d’Etat militaire précipitant la fin du mandat du président Amadou Toumani Touré. Le troisième événement marquant, la complexification du conflit avec l’aspect religieux et extrémiste. Ce point d’étape va alors conduire à une intervention militaire de la France pour empêcher les colonnes des extrémistes religieux, qui occupaient l’essentiel du nord, de progresser vers le centre et le sud du pays.

Ces événements n’ont laissé intact ni les populations du nord, ni les populations du centre, ni celle du sud. Le pays entier a été touché tant au niveau territorial qu’au niveau des relations entre les communautés. Les relations sociales ne sont certes pas devenues conflictuelles et fort heureusement pour le Mali mais le passage des extrémistes religieux, les horreurs commises, la peur, tous ces faits ont laissé des traces dans les consciences et dans l’inconscience des populations.

C’est alors aux regards de ces faits que je reviens sur la situation actuellement instable et revendicative qui fait état dans le centre du pays. Cette zone du centre tient une position centrale et sur le plan sociologique, elle atteste une représentativité des communautés ethniques maliennes. La zone n’a cependant pas été totalement épargnée par les exactions pendant l’occupation, et est aujourd’hui instable alors qu’elle est aussi la partie du fil qui permet de lier le nord et le sud du pays. Elle assure symboliquement la continuité territoriale du Mali.

Depuis ces événements, plusieurs types d’analyses et réflexions ont été faites de tous bords dans une visée de compréhension des questions écologiques et socioéconomiques de la zone. L’accentuation de cette volonté de compréhension est essentielle. Cependant, si des réponses adéquates ne sont pas apportées, la région risque d’être difficile à contrôler pour l’Etat et ses partenaires pour encore des années. Et à ce titre, le rôle de point de liaison, que remplit la région de Mopti, entre le Mali du sud et le Mali du nord,  risque d’être compromis sur le long terme. Le centre du pays assure en partie une continuité territoriale du Mali. Il joue ainsi un rôle central au niveau écologique, économique, sociologique, culturel et cultuel.

Le centre du Mali : un ensemble écologique et économique qui se désintègre ?

On retiendra à ce niveau que le centre du Mali est une zone de vie et de déplacements d’humains mais également de grand nombre d’espèces animalières notamment. On parle ici d’un réservoir de populations animales. Les réserves locales ont fait à cet égard, à plusieurs occasions, l’objet d’études internationales. Il s’agit d’un milieu favorable à la présence de certaines espèces, même si une grande partie de ces espèces sont aujourd’hui menacées de disparition. Les déplacements de la faune dans cette zone font du centre du Mali un corridor biologique et économique non négligeable.

Dans la continuité du premier raisonnement, la région de Mopti demeure un acteur important au niveau économique pour les régions du nord, plus précisément au niveau de l’élevage. La région de Mopti est une zone d’élevage. A ce titre, à travers l’histoire, la région a approvisionné le sud, le nord du Mali et d’autres pays de la sous-région par voies fluviales et routières. Loin de s’estomper, cet approvisionnement continue et il joue toujours un rôle économique majeur entre le sud et le nord du Mali.

Par ailleurs, le poids économique des « échanges » entre les régions du Nord et des pays frontaliers comme l’Algérie ou encore le Niger n’est pas négligeable. D’autant plus que certains produits sont acheminés de Kidal, puis de Gao jusqu’à Ségou, voir Bamako en passant par le centre du pays. C’est le cas du sucre, des pattes alimentaires provenant de l’Algérie.

Il y a ainsi un accent à mettre sur le potentiel économique important de la zone centre du Mali. Dans ce sens, on peut comprendre que maintenir l’unité territoriale du Mali, c’est également maintenir une continuité économique. Les tensions qui persistent et la précarité de plus en plus sévère qui frappent les populations méritent des réponses fortes sur le court, le moyen et le long terme face aux mutations actuelles et aux revendications multiformes dans la zone.

Tout compte fait, l’accentuation de la crise dans cette zone fait qu’aujourd’hui la zone est de plus en plus confrontée à des tensions freinant le développement du commerce vers le Nord et le Sud et vers d’autres pays. Le potentiel économique de la zone est ainsi de plus en plus étouffé.

Le centre du Mali, un ensemble sociologique, culturel et cultuel qui se fragilise[4]

Le centre du Mali représente par sa composition démographique et ethnique ce que pourrait être un Mali unifié sur le plan territorial, mais surtout sur le plan identitaire avant la crise de 2012 et les problématiques actuelles liées aux revendications multiples et complexes.

Au niveau de la composition démographique, il s’agit d’une zone de brassage sociologique.

Ce brassage se résume sur le fait qu’il s’agit d’un territoire contenant en son sein des populations d’origines ethniques différentes au départ. Elles ont partagé ce territoire depuis des siècles et de ce fait, elles ont tissé de solides relations sociales à travers l’histoire.

Par ailleurs, ces relations sociales méritent d’être étudiées ou au mieux revisitées aujourd’hui sur toutes les dimensions sociologiques dans la mesure où depuis la crise de 2012, plusieurs problématiques ont touché le vivre-ensemble dans cette zone.

Outre cet aspect, on décrira toujours cette zone comme une zone de brassage sociologique important dans une perspective d’une intégrité territoriale du Mali. Mais une chose semble de plus en plus certaine aujourd’hui, le vivre-ensemble qui constituait une partie de la richesse de ce territoire a été touchée.

Il me semble ainsi que la question peulh[5] mérite d’être abordée dans cette optique. Les analyses autour de cette problématique sociale, devenue aujourd’hui sécuritaire devraient plutôt être axées dans une perspective compréhensive, de préconisation et avec les acteurs. Le cas contraire, le pays risque de se retrouver face une autre question similaire celle des touaregs.

L’engagement militaire et politique de groupes « peulh » ou le risque d’une quête de « régionalisation »

Dans l’étude réalisée par le centre pour le dialogue humanitaire, plusieurs risques ont été relevés. Il s’agit notamment du risque de revendications régionales par les peulhs.

Un premier élément allant dans ce sens, c’est l’engagement de certains groupes se revendiquant d’être peulhs dans l’action armée. A ce titre, plusieurs attaques à l’égard d’autres communautés ethniques vivant dans la zone ont été identifiées et médiatisées. Certains analystes diront qu’il s’agit d’actes isolés qui s’inscrivent essentiellement dans les questions de vivre-ensemble entre berger et agriculteurs. Cependant, ces groupes se revendiquant peulh se sont armés. Cette militarisation a été médiatisée au bon vouloir des groupes.

D’autre part, ces groupes de révendications ont tenu à faire savoir qu’ils s’inscrivent dans une action politique, notamment par le biais de médias[6]internationaux. Cet aspect est illustré par le contenu d’un discours relaté. Dans ce discours, on retrouve la volonté de défendre les intérêts de la communauté peulh, voir de l’ « identité peulh ». Ce qui sous-entend une quête d’une certaine reconnaissance politique notamment par la voie militaire[7].

Ainsi la prise en compte de ces deux éléments constitutifs d’une revendication territoriale et politique semble de plus en plus importante. Ce, sans oublier les revendications religieuses, à la tête desquelles se trouverait un mystérieux Ahmadou Koufa[8]. Cet engagement est comme une rébellion qui tend vers une reconnaissance sociale. Donc un risque de régionalisation.

Le constat d’une montée des tensions entre les communautés peulhs, bambara et dogons

Toujours en s’appuyant sur l’étude menée dans le centre du pays par l’institut du Macina, il est fait état de tensions entre la communauté peulh du centre du pays et les voisins bambaras[9] et dogons notamment[10].

Bien qu’un certain nombre de ces tensions ne semblent pas nouvelles car elles relèvent souvent du voisinage[11] entre bergers (peulhs) et agriculteurs (bambaras), il semble qu’il faut tenir compte du contexte général de la zone actuellement par prudence. La communauté peulh est à tort ou à raison affiliée aux groupes armés se revendiquant de défendre l’intérêt et l’identité de la communauté peulh[12]. Il y a à ce titre, des risques réels de stigmatisation de la communauté peulh par les voisins bambaras et dogons. Dans ce cas, la logique ne va plus être la même, les « simples » conflits de voisinage pourraient se transformer en d’autres types de conflits, notamment identitaires.

Au regard de toutes les informations relevant du centre du pays relayées par les médias, les chercheurs et les autorités maliennes, il me semble qu’il y ait un risque de montée des tensions entre les communautés. Une banalisation de ces tensions au titre des conflits de voisinage devrait être évitée. L’Etat malien devrait davantage prendre en compte les mutations sociales dans cette zone depuis la crise de 2012.

Pour conclure, deux dangers majeurs pointent à l’horizon et méritent l’attention de l’Etat. L’une, consiste en la stigmatisation de l’ethnie peulh et l’autre, c’est le risque que les peulhs finissent par accepter les groupes identitaires et revendicatifs. Cette conclusion se trouve être la même que celle soulignée dans l’étude réalisée par l’institut du Macina. Il me semble qu’il faut être lucide à ce niveau et mettre en avant le fait qu’aujourd’hui, on n’en est pas là. Et pour éviter une telle situation, des mesures fortes doivent être prises par l’Etat et ses partenaires pour préserver la cohésion sociale.

Le risque d’une double question identitaire pour un Etat déjà fragilisé ?

Le risque est présent. Il y a vraisemblablement un risque d’une double question identitaire pour un Mali déjà fragilisé. Les deux sont dangereuses pour l’intégrité du Mali. La première, c’est la question touarègue. Celle qui est connue de tous aujourd’hui et qui n’est pas réglée non plus. Et la seconde, c’est une possible « question peulh ».

Le Mali est-il capable de gérer deux questions identitaires sans tendre vers une scission ? C’est là, il me semble que se trouve la question importante qui doit être fondamentale à appréhender. Ce qui demeure sûr, c’est que l’émergence d’une « question peulh » ne peut être que « fatale » pour l’intégrité territoriale du Mali.

Pour conclure, comme on a pu le voir plus en haut mais de façon brève et sans éléments quantitatifs, le centre du Mali ne résume pas uniquement à la région de Mopti. Il s’agit bien d’un territoire dont la maitrise par l’Etat est primordiale pour assurer une continuité territoriale, une intégrité territoriale et une cohésion sociale nationale.

De plus, si on ajoute à l’ensemble de ces problématiques, les frustrations légitimes des populations des régions de Gao et de Kidal, la stabilité du pays est loin d’être un objectif facilement atteignable. La fragilité de l’Etat du Mali et son impuissance affichée pour faire face aux diverses problématiques, au niveau militaire et administratif est un point qui me semble aujourd’hui l’une des problématiques essentielles à résoudre.

[1] Le Centre du Mali : Enjeux et dangers d’une crise négligée, Centre pour le dialogue humanitaire, Institut du Macina, Adam THIAM, Mars 2014

[2] Les problématiques sociales et économiques déjà existantes et aggravées depuis 2012. L’enclavement extrême de certaines localités, ce qui ne permet pas une bonne connexion aux grands axes d’approvisionnement. La problématique de l’éducation, comme dans le nord du pays, les écoles connaissent des grèves répétitives. Egalement la problématique sécuritaire qui est omniprésente.

Voir à ce titre : https://www.crisisgroup.org/fr/africa/west-africa/mali/central-mali-uprising-making
[3] Rapport spécial de Crisis Group, Exploiter le chaos : l’Etat islamique et al-Qaeda, 14 mars 2016. Version complète disponible en anglais seulement.

[4] http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/01/27/apres-le-nord-le-centre-du-mali-menace-a-son-tour-de-s-enflammer_5069975_3212.html
http://information.tv5monde.com/info/rapport-fidh-sur-l-insecurite-au-mali-168908
[5] La question Peulh, c’est ainsi que les différentes formes de revendications attribuées aux peulhs du centre du Mali ont été baptisées. La terminologie a été utilisée par les médias, les autorités maliennes notamment mais également par certains chercheurs. C’est le cas notamment dans l’étude menée par l’Institut du Macina.

[6] http://www.rfi.fr/afrique/20160620-mali-mouvement-politico-militaire-peul-alliance

[7] http://www.jeuneafrique.com/335206/politique/mali-oumar-aldjana-avons-cree-mouvement-mettre-fin-aux-exactions-contre-peuls/

[8] Ahmadou Koufa est désigné par les médias et certaines autorités politiques comme le cerveau de plusieurs opérations militaires menées dans le centre du Mali au nom de l’islam. Il semblerait qu’il est à le chef du kâtibat de Macina.

[9] http://mondafrique.com/conflits-entre-peuls-bambaras-ensanglantent-centre-mali/

[10] http://www.rfi.fr/afrique/20160425-lutte-jihadistes-mali-peuls-cible-association-kawral-poulakou
[11] Etudes du Centre de Développement Conflits et croissance en Afrique, Sept.1999, Centre de développement de l’OCDE, Le Sahel Volume 1, langue française, Azam Jean-Paul, Morrisson Christian, P.75.

[12] http://www.rfi.fr/afrique/20160620-mali-mouvement-politico-militaire-peul-alliance